Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Entre les lignes...
Entre les lignes...
Publicité
Archives
Newsletter
15 septembre 2013

Chapitre 12: Le bidonville de Nueva Villa.

J´ai parfois la chance de ne pas trop travailler le samedi matin. J´en profite souvent pour aller vadrouiller dans les rues ensoleillées de Nazca. J´aime découvrir les derniers recoins de cette petite ville bercée par un beau temps quotidien.  Cela me permet de connaître un peu mieux ce grand village dans lequel les voyageurs ne s´attardent pas. En connaissant mieux Nazca, je commence á la comprendre. Mais ce matin lá, je ne suis pas descendu á Nazca.

Je n´ai pas descendu le bidonville de Nueva Villa, longé la Panamericaine et le quartier de Vista Alegre pour me rendre jusqu´au centre ville de Nazca. Plutôt, j´ai remonté la "route" du bidonville. Les bidonvilles, favelas, slums, font partie des lieux les plus pauvres de la planete, pour autant ils bercent les esprits de beaucoup de personnes dans le monde "occidental". Violence et pauvreté s´entremelent dans l´esprit du citoyen Européen regardant la Cité de Dieu sur écran plat...Certains se rendront compte que l´acteur jouant le rôle de "Manu Le Coq" (Mane Galinha) n´est autre que Seu Jorge, artiste brésilien qui transporte la favela dans le monde, via la musique. Au dela des mythes et des écrans, le bidonville reste un endroit peu connu des français du XXI eme siecle. Néanmoins, la Cidade de Deus n´est pas un mythe. Elle existe. C´est une favela au sud de Rio de Janeiro.
Très peu d´études existent sur "le fonctionnement du bidonville". Face á cette situation, c´est en toute simplicité que j´entreprens le début de la remontée du bidonville de Nueva Villa. En voiture! Enfin, "á pieds" plutôt

J´habite dans la montée du bidonville, á l´endroit oú la route est symptomatique du développement et ses limites. J´habite lá ou la route goudronnée s´arréte, laissant place á un chemin de sable et de pierres, damé par les voitures qui s´y aventurent. A ma droite: le goudron de la route qui descend jusqu´á la Panaméricaine. A ma gauche: le début du chemin sableux qui monte dans le bidonville. Son lien routier, comme son artère aorte qui le connecte á la ville et á la vie. 

Je prends á gauche et remonte le chemin sableux, m´enfonsant tranquillement dans le bidonville. Il fait une chaleur intenable et la montée me fait transpirer. Le sable vient se coller sur mon visage, mes bras et mes jambes, comme le tampon du visa qui te permet d´entrer dans Nueva Villa. 

 

1379346_10201491608268806_2023307922_n1384263_10201491602748668_1857810296_n

 

 

 Au carrefour de la première perpendiculaire, une vieille péruvienne avec un chapeau traditionnel cachant sa longue tresse, vend des confiseries. En m´approchant, je constate qu´elle est en fauteuil roulant. Ici beaucoup de gens n´ont pas de retraite, pas d´assurance maladie, pas d´assurance chômage et aucune aide directe de l´Etat. De fait, les plus vulnérables doivent travailler jusqu´á leurs derniers jours. Le problème principal du Pérou n´est pas l´insécurité civile, c´est l´insécurité sociale. L´une et l´autre pouvant s´auto-alimenter. La misère existe partout dans le monde, de Stockholm á Niamey. Mais on constate les lacunes dans la manière de la combattre. L´Etat péruvien démontre son laxisme et son manque de responsabilité politique, face á la pauvreté d´une bonne partie de ses électeurs. J´achete un paquet de cacahouetes qui ne financera pas la retraite de la vieille, et je continue mon ascension. Je m´arrete un peu plus loin pour acheter le journal Gestión, quotidien économique du pays. En première page, les évolution du taux de croissance du Pérou

Pérou

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Variation PIB (%)

8,9

9,8

0,9

8,8

6,7

6,0

6,3

Vous l´aurez compris, nous sommes dans un pays dynamique. Pays émergent, plein d´opportunités...Mais, ce qui se présente devant mes yeux au-dela de mon journal, entre en contradiction avec ma lecture. Celle-ci parait une rodomontade...
Plus je monte dans Nueva Villa, plus je descends l´echelle sociale du Pérou. A ma gauche, la Place de Nueva Villa est quasi déserte. Au loin, quelques hommes discutent á l´ombre. La Place est surplombée d´une grande pancarte faisant la promotion du développement du bidonville, notamment en se focalisant sur la ressource la moins disponible ici: l´eau.

526956_10201491612188904_573498057_n

 


Il convient de rappeler, qu´ici les besoins primaires comme la nutrition, les premiers soins, ou encore la présence d´eau potable (voire d´eau courante!) ne sont pas toujours satisfait. Cette pancarte vient me le rappeler...et vient faire la promotion du maire actuel: Ingénieur Guttierez Cortez. Au Pérou, les ingénieurs se sont auto-délivrés la particule "Ingeniero", un peu comme les médecins ou les avocats. La corporation et les "confrères" en ont ainsi décidés, et le reste de la société acquiesce, dans un mélange de respect, de sentiments d´infériorité et de servitude. Mr Guttierez Cortez, ou l´accelerateur de particules.

Plus haut, une femme a aménagé sa maison du rez-de-chaussée en y mettant quelques ordinateurs afin de monter un cyber-café. A Nueva Villa, on peut ne pas avoir l´eau courante, mais passer son après-midi sur Facebook. C´est une caractéristique du développement que j´avais déja constaté dans les villages de Casamance ou du Sénéchal Oriental. Elle peut choquer les économistes qui restent au bureau. Elle est le quotidien du terrain...Elle met au tapis la pyramide des besoins de Maslow.

A quelques mètres plus haut, j´entends des cris. C´est un terrain de football en synthétique flambant neuf!!! Avec des tribunes! A l´entrée du stade, je retrouve très vite le nom du Maire...Je ne sais jamais si je dois l´appeller Monsieur Le Maire, ou Monsieur L´Ingénieur. Peut-être que les deux lui conviendrait. Je ne le sais pas...la seule fois que je suis allé á la mairie, il était sensé signé mon papier pour le visa. Sauf qu´il n´était pas la á l´heure de notre rendez-vous. "L´Ingénieur Cortez Guttierez soutient le développement du sport". Cette phrase est inscrite sur le mur, derrière la cage du gardien de but aussi maladroit que le marketing d´une campagne électorale de Nueva Villa.  

 

1233449_10201491605468736_140158215_n

 

Je me pose dans la tribune pour assister au match opposant deux équipes de jeunes. Le niveau est faible. Je m´ennuie presque. Les péruviens et le foot, c´est un peu comme les anglais et la nourriture: Ils adorent ça, mais ils ne savent pas faire! Si l´équipe de France fait peine á voir, elle reste néanmoins très au dessus de l´équipe nationale du Pérou, pour ne pas vous détailler le niveau du championnat national qui á des allures de championnat district de la Drôme.

Néanmoins, les Péruviens sont passionnés de football. A tel point que personne ne semble choqué de voir la mairie financer un stade de foot, plutôt que le goudron de la route, le système d´égout, une école pour les enfants du bidonville, ou encore la venue de l´eau courante dans les maisons. 

Je ne regarde pas le match jusqu´á la fin, et continue de remonter le bidonville. Très vite, les maisons deviennent toutes de paille de d´adobe. J´atteinds un lieu oú les gens doivent tous toucher moins que le salaire minimum. Au Pérou le salaire minimum est de 750 soles, soit 203euros par mois. Petite pause au milieu du bidonville. Pour votre confort et votre intérêt, voici les évolutions de quelques indicateurs économiques:

 Pérou

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Taux d´inflation (%)

1,1

3,9

6,7

0,2

2,1

3,9

3,28 (1)

Salaire  mínimum (soles mensuels)

500

550

550

580

675

750

750

Taux de pauvreté (%)

44,5

39,3

36,2

34,8

31,1

n.c

n.c

Données: Fond Monétaire International (Article IV 2012); Banco Central de Reserva del Peru.
(1)    Variation sur 12 mois (Mai 2013).
   Données: Fond Monétaire International (Article IV 2012); Banco Central de Reserva del Peru.


Le taux d´inflation est assez bien maîtrise, quoi qu´avec une importante infraction á la cible d´inflation en 2009 (cible d´inflation entre 1% minimum, et 3% maximum).
Sur la période considérée, le salaire minimum (nominal) a augmenté de 50 pourcents, soit un rythme très supérieure á l inflation. De fait, le salaire minimum réel, a bien progressé, augmentant le pouvoir d´achar et permettant d´expliquer une partie de la baisse du taux de pauvreté parmi les péruviens. 

Lá se termine une analyse que j´aurais pu faire en France: Tout va plutôt bien, ça progresse. Sauf que devant moi les gens n´ont pas du tout les moyens financiers que prétendent mes chiffres. Oú est l´erreur?

Pour comprendre la première erreur, il faut se souvenir de la vieille en fauteuil roulant. En effet, le salaire minimum ne concerne que les emplois du secteur formel. A Nueva Villa, le secteur formel est plus rare que l´eau! Quand on vend des cacahuètes á 1 sols sur le bord de la route, on n´atteind pas 750 sols par mois. Nueva Villa c´est le cauchemar pour l´agent de la SUNAT (le fisc péruvien). Rien n´est déclaré, pas de titre de propriété, pas d´impot sur la production, très peu de service public, pas de contrat de travail, pas de salaire minimum et donc pas d´impot sur le revenu. Le fisc ne vient pas ici. Rien n´est régulé. Il ne m´étonne pas de voir á quel point le paradis du libéralisme colle avec le quotidien des endroits les plus pauvres du monde. 

La seconde erreur vient de l´évolution du taux d´inflation. Il convient de le disséqué afin de pouvoir en ressortir un indicateur d´évolution des prix qui "convient" aux habitants de Nueva Villa. Car dire aux gens: "Les prix de certains produits ont baissés depuis 10 ans...Billets d´avion, écran télé, appareils ménagers..." c´est dire la vérité tout en en tirant un jugement inique. Le voyage étant proscrit du panier de la ménagère de Nueva Villa, tout comme l´achat d´un écran plat ou d´un appareil á gaufres. Il convient donc de concevoir un taux d´inflation "de pauvres", reflétant mieux leur consommation. Les meilleurs pour le concevoir sont les pauvres eux-mêmes. A défaut, je propose une piste. Un indicateur qui mettra une grande pondération á l´evolution des prix alimentaires, et au prix de l´eau. Je consulte alors les données de la Banque Centrale du Pérou. 
J´obtiens les données suivantes dans le Rapport d´Inflation de Septembre 2013 : variation des prix de Janvier á Aout 2013: 
Pomme de terre: +17%
Poisson frais et congelé: +46,6% (le pauvres aussi mange du ceviche, il suffit d´aller au bord de Lovalo de Nazca pour le voir!)
Oeufs: +18%.

Seul le poulet et le riz semble stable. 
Bref, l ´inflation de 3,28% est assez éloignée de la réalité des pauvres du Pérou.
 
Pour le prix de l´eau. Un bidon de 110litres vaut 4sols. Il faut environ un bidon par personne et par semaine. Pour un couple avec 3 enfants, on atteint donc environ 20 sols par semaine, oú environ 80 sols par mois. Cela représente environ 11% du budget pour une famille dont seul un adulte travaille (au salaire minimum)...mais plein de gens ne travaillent pas pour le salaire minimum! La dépense en eau dans le budget d´un foyer de Nueva Villa peut ainsi représenter entre 5% (les deux parents travaillent dans  le secteur formel)  et 20% (un seul parent travaille, dans le secteur informel). Evidemment, je parle d´eau courante, pas d´eau potable...si je souhaite parler d´eau potable, je sale davantage l´addition et il me reste juste assez pour y mettre des nouilles!

 

Je m´infiltre dans les ruelles du haut du bidonville. La lumière se raréfie. Il est 17h15. J´ai atteint le sommet de Nueva Villa tout en touchant le bas-fond du développement économique. Il ne me reste plus qu´á redescendre. En faisant une petite pause...Sur les hauteurs des bidonvilles d´Amérique du Sud vivent les plus pauvres. Mais c´est aussi de lá que se contemplent les plus beaux couchés de soleil...

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité