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24 octobre 2013

Chapitre 14 : Football et démocratie: Une histoire sud-américaine.

 Une critique de Patrice Evra, sans fond, ni forme remet en lumière un fait saillant du sport et de la société. Le fait que les sportifs, les footballeurs en particulier, soient limités au niveau cérébral est une idée partagée par l’essentiel de la population mondiale. Au Pérou y compris. Entre inculture et débilité la critique n´a pas encore ciblé le mal. Il est de bonne augure de dire qu´un footballeur intelligent, c est un footballeur qui se tait. 
Au regard des cas « Ribéry » ou « Neymar », les Objectifs du Millénaire pour le Développement relatifs à la scolarité et l’alphabétisation semblent hors d’atteinte. Cette idée ne date pas d’hier. Ainsi Pierre Desproges déclarait, « Les hémorragies cérébrales sont moins fréquentes chez les joueurs de football. Les cerveaux aussi ».

Aujourd’hui, certains trouvent justification à cela en s’appuyant sur la formation des jeunes footballeurs, trop orientée vers la performance individuelle et pas assez vers la culture (Dhorasoo). Plus profond que l´inculture, c´est toute l´image du football qui s´est modifiée. Le football fut un sport populaire, un sport de pauvres. On y jouait entre ouvriers á la sortie de l´usine. On  a églement des preuves de matchs entre francais et allemands lors de la Premiere Guerre Mondiale. De toute évidence, ces matchs opposaient les premieres lignes de combat.
Les élites ont toujours été interessées par le football. Mais ils ne sont passés du divertissement á sa gestion que lorsque celui a commencé á dégager une mane financiere importante. Avec elle, les salaires des salariés des clubs ont progréssés et la gestion d´un club pro s´apparente aujourd´hui á celle d´une entreprise...voir d´une multinationale. La mobilité des facteurs de production s´est accrue (tant des joueurs, que du capital) et donne meme lieu á des dé
bats sans fin sur la fiscalité des salaires des joueurs professionnels.

Faut-il aligner notre fiscalité sur la fiscalité monegasque, quitte á remetre en cause toutes les finances publiques francaises...et tout le contrat social? La question se pose pour certains, et la grace de l´élite tient á sa force de persuasion. Elle réussit á nous faire verser une larme en pensant aux sorts fiscaux de Javier Pastore ou Zlatan, tout en laissant inexpliquée la difference entre un taux marginal d´imposition...et un taux moyen.
Le citoyen non-informé souhaite supporter la meilleure équipe possible, et appuis donc le message fiscal. De plus, ce citoyen n´est plus qu´un simple supporter. Il est désormais un spéculateur qui place son argent sur les sites de paris en ligne. 
Ainsi, le football qui était un sport populaire, est désormais un sport oú des optimisateurs fiscaux courent derriere un ballon, et oú les spectateurs sont restés des passionnés tout en  devenant des speculateurs. Loin de moi l´idée de debatre du bien ou du mal de cette situation que j´ai exagéré (legerement). Le simple constat, est que le football est devenu plus individuel qu´auparavant et que les joueurs ont gagné en égoisme ce qu´il ont perdu en culture. 


C´est a
u milieu de cette idée répandue de « manque de cerveaux » et d´individualisme, que j’aimerai aujourd’hui partager une anecdote. Voici l’histoire du footballeur malgé lui. L´histoire d´un mec au nom de philosophe, qui fut medecin, opposant politique á une dictature militaire...Et capitaine de l´equipe nationale de football...du Brésil.

C’est l’histoire d’un contre-pied.

 

 

Socrates. Il s’appellera ainsi car son père lisait l’ouvrage du philosophe grec pendant la grossesse de sa femme. Né en 1954 à Belèm do Para, dans le nord du Brésil, Socrates est l’ainé de la famille. Très vite, son père fonctionnaire est muté dans l’Etat de Sao Paulo, dans la ville Ribeirao Preto…Ville que je connais très bien!  C’est dans cette ville que naitront les petits frères de Socrates, dont le petit dernier, Rai.

En 1964, un coup militaire éclate au Brésil, et Socrates (alors âgé de 10 ans) avouera que cet évènement a eu une influence considérable sur sa vision du monde et de la politique. Dans le même temps, il poursuit sa scolarité et il se passionne pour le football, comme beaucoup (tous ?) de brésiliens. A 16ans, il joue pour le Club du Botafogo de Ribeirao Preto. Un an plus tard, il réussit à intégrer la fac de médecine de l’Universidade de Sao Paulo. Très vite, les problèmes se posent. Son emploi du temps est incompatible avec la poursuite d’une vie de footballeur professionnel. L’entraineur Jorge Vieira déclare alors : « jogador que não treina, não joga » (un joueur qui ne s’entraine pas, ne joue pas). Trop talentueux balle aux pieds, le Botafogo fait un écart et accepte que Socrates poursuive ses études tout en jouant, sans s’entrainer comme les autres.

En 1977, Socrates prête le serment d’Hippocrate, il est officiellement médecin. Il n’exercera que très peu cette fonction, car l’année suivante, « Le Docteur » signe aux Corinthians.

dr socrates

C’est dans cette période la plus noire de la dictature, sous le « gouvernement » Medici, que Socrates va s’engager politiquement. Dans l’Histoire du Brésil, les années 1979-1985 sont qualifiées de « anos de chumbo » (les années de plombs), et sont marquées par des arrestations arbitraires, des emprisonnements sans jugements et la disparition et l’exécution de nombreux opposants au régime militaire. C’est dans ce contexte et avec l’aide de ses coéquipiers des Corinthians ainsi que de l’appui d’un sociologue, que va se créer la Démocratie Corinthienne (Democracia Corinthiana).

 Face au régime autoritaire, la Démocratie Corinthienne est une épine. Toute la gestion du club des Corinthians et les choix passeront par le vote des dirigeants et des joueurs. Le régime ne peut rien faire,  les soutiens à la Démocratie Corinthienne sont trop nombreux. Tous les employés du club votent, le club fonctionne en auto-gestion. Une petite dèmocratie existe au sein de l´Etat fasciste. Pire, elle est emmenée par des footballeurs, et nous sommes au Brésil. 

Le maillot est floqué des dates des futures élections internes, ou simplement du mot « Democracia ». Parallèlement, l’équipe enchaine les bons résultats et les titres. Socrates est alors appelé en sélection nationale. Il sera capitaine de la Seleçao lors de la Coupe du Monde de 1982. L’étendue de son talent de footballeur va conquérir le monde. On l´apellera mondialement "Le Docteur"...la plupart ignorant pourquoi. 

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 Grand, maigre et barbu Socrates sera le meneur de jeu du Brésil…et jouera avec un bandeau sur le front. Sur l’un de ces bandeaux, on peut lire dans la langue de Shakespeare : « Need Justice ». La démocratie trouve un vecteur de diffusion : le football, dans l’élégance du capitaine Socrates.

C’est à l’aube de la globalisation du football que la Fiorientina s’attache les services du « Docteur ». Sa force de travail sera transférée en Europe.  
 Lors de son arrivée en Italie, Socrates prendra –comme sur le terrain- tout le monde à contre-pied. « Quel est l’italien que vous admirez le plus ? Mazzola ou Rivera ? » lui lance un journaliste sportif. Socrates répondra : « Je ne connais aucun des deux. Je suis ici pour lire Gramsci dans le texte et pour étudier l’histoire du mouvement ouvrier ».

 

 

 

Son idéologie politique se traduira jusqu´au nom qu’il donnera à l’uns de ses fils : Fidel.
Sa saison à la Fiorentina est décevante. Il ne reste qu’un an et retourne au Brésil en 1985. Comme un symbole, le retour de Socrates se calque avec le retour de la démocratie au Brésil. L’année suivante, il éblouira à nouveau la planète football de son talent. Ce sera sa dernière Coupe du Monde. Il deviendra par la suite joueur du Flamengo, puis de Santos, avant de devenir consultant sportif et d’ouvrir une petite clinique à Ribeirao Preto. En tant que consultant sportif, il aura l’occasion de voir son petit frère Rai, porter –lui aussi- le brassard de capitaine de l’équipe nationale. 

A la suite de problèmes liés à l’alcool, Socrates meurt le 4 décembre 2011. Il laisse derrière lui le souvenir d’un joueur talentueux, engagé et cultivé.

Son histoire n’est qu’une anecdote à l’aune du football moderne. Mais, elle mérite d´etre connue.

Alors, les footballeurs sont-ils tous incultes et égoistes? Peut-être. Mais ils ne l´ont pas toujours été...du moins, pas tous!

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