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Entre les lignes...
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21 août 2013

Chapitre 10: Chacun sa crise

C´est grâce á une charge de travail allégée que je vous écris ce chapitre. 
Sur fond de risque de propagation de la grippe H1N1, les établissements scolaires de nombreuses provinces du Pérou sont maintenues fermées jusqu´au 2 septembre. Face á des cas de malades, les jeunes enfants, les moins jeunes, les gens souffrant de diabète ou d´hypertension sont vulnérables, et sont autant de cas courants dans les établissements scolaires! 
De quoi vivre un mois d´aout de vacances "á la française"? Pas vraiment...

Chômage technique dû á un risque de santé public élevé. De mémoire de mes cours d´économie du travail, aucune théorie du chômage explique mon cas actuel. A vrai dire, je ne suis pas vraiment au chômage, mais plutôt en sous-emploi. Le centre de langue où je travaille est toujours ouvert, ce qui me garantit de travailler le soir.

A la crise de santé publique (ou la prévention de crise pour être exact), s´ajoute une crise structurelle et sociale au Pérou. C´est le thème de ce chapitre.  Hier, une grève des mineurs a eu lieu, ralentissant, voire paralysant les routes á travers le pays. Le mode d´expression varie; de la simple manifestation pacifique et encadrée, á la fermeture brutale et impromptue des routes principales du pays, voire parfois au caillassage des véhicules souhaitant forcer le passage. Hier en fin d`apres-midi, un accord a ètè trouvè avec le gouvernement. Pour autant, je souhaite vous faire parvenir quelques impressions.

Je vous arrête tout de suite; nous ne sommes pas complètement dans Germinal d´Emile Zola. Le combat porte moins sur les conditions de travail, de salaire, de santé et de travail des enfants; et davantage sur le rôle que l´Etat joue (ou ne joue pas, selon les cas) dans les partenariats avec les mines publiques comme privées. Le système fiscal est au centre, tout comme le besoin d´avoir un level playing field, afin de sanctionner les mines informelles qui s´affranchissent de toute régulation, laissant les mines formelles face á un désavantage économique dans ce cadre de concurrence déloyale et illégale. Les revendications sont nombreuses, y compris les plus farfelues. Certains accusant même l´Etat de faire baisser les prix des minerais. Mais la principale raison de la chute des prix du cuivre provient du ralentissement économique chinois, donc d´une moindre demande mondiale de cuivre. De plus, le prix du cuivre est fixé mondialement á Londre, New York et Shanghai. Rien á voir avec l´Etat péruvien...  


En chiffres: le Pérou produit 7% du cuivre mondial (3em producteur mondial derrière le Chili et les Etats-Unis). Il est le second exportateur de ce minerai (derrière le Chili). La Chine importe, á elle seule, 28% du cuivre du mondial, et le Japon 23%. 
Face á une offre (péruvienne, américaine et chilienne) stable, quand la demande (chinoise) ralentit, le prix a tendance à baisser.

Graphiquement: Cliquer ici

Trêve d´analyse économique de comptoir. Face aux nombreuses revendications et á la place importante (mais loin d´etre unique) de l`industrie extractive dans la matrice productive du Perou, le plus étonnant fut de voir le reste de la population se positionner face au mouvement de grève. 

J´ai ainsi relevé certaines caractéristiques des "non-manifestants". Loin d´etre exhaustive, je vous tire une "petite typologie des non-manifestants".

1/ En première ligne vient le profil du "proche". Le proche a généralement un membre de sa famille, ou un ami qui travaille á la mine. Parfois, le proche a, naguère, travaillé dans la mine lui-même. Le proche soutient très largement les manifestants face au pouvoir politique. Il voit l´Etat comme un prédateur, avec en première ligne le président Humala. Souvent ancré á gauche, il s´oppose assez catégoriquement á toute décision de l´Etat. Pour autant le proche n´est pas forcement un anarchiste de gauche.

2/ Vient ensuite le profil du "business-as-usual man" (BUM). Libéral, il semble s´etre mondialisé plus vite que son pays. Son obsession est de faire du Pérou un pays  qui favorise les investissements, notamment étrangers (investment-friendly). A cette fin, il souhaite voir les infrastructures du pays fonctionnées á plein. De ce point de vue, le BUM s´oppose farouchement á tout trouble pouvant entraver (á court ou long terme) la croissance du pays dans l´obsession de la concurrence mondiale. Néanmoins, le BUM possède une contradiction assez profonde. Lorsque je lui demande si l´Etat péruvien taxe trop les entreprises (je sais chouchouter les libéraux du monde entier), il me répond un "Oui" sans nuance. Mais de fait, il donne raison á une des revendications des manifestants...pas forcement sur la forme, mais au moins sur le fond. 

3/ Le troisième profil est celui du "Stressé de la Classe Moyenne", ou SCM. Il m´aura fallu un an en Amérique du Sud pour cibler ce personnage clef. Le SCM est très répandu dans ce que j´ai vu du continent. Il convient de lui consacrer quelques lignes...
Le SCM a grimpé l´echelle sociale au cours de sa vie, au point de se trouver souvent en classe moyenne supérieure. Le SCM a déménagé, calquant sa mobilité professionelle sur une mobilité géographique. Il est passé des quartiers pauvres ou populaires aux quartiers résidentiels plus chics. Il a connu des périodes de troubles politiques et sociaux importants (dont la dictature militaire pour les plus anciens) et garde en mémoire vive l´insécurité comme une icône sur le fond d´écran de sa vie. Il est inquiet, il voudrait moins de délinquance et (donc?) plus de police.
Le matin, il prend son petit déjeuner devant sa télévision et assiste, stressé á un programme montrant des agressions de rues filmées par des caméras de surveillance. Ainsi les médias passent quotidiennement faire la mise á jour de l´icone sur le fond d´écran. Le SCM accepte toutes les mises á jour. Face aux asaltos (racket) il souhaite protéger sa famille et ses amis de toute cette violence. Il habite désormais dans un immeuble avec gardien (condominios au Brésil), connaît les deux codes d´entrée par coeur et possède trois clefs...pour les trois verrous de sa porte. 
L´insecurité étant une réalité dans les grandes villes d´Amérique du Sud, le SCM voit son pays comme dangereux et en informe vite les étrangers et les touristes. J´ai par exemple en mémoire une longue discussion avec des amis de Ribeirao Preto, dans laquelle je leur avais énoncé que j´habitais quartier Monte Alegre. On m´avais notamment proposé de changer de lieu et de m´installer en centre ville. Me m´empressais de refuser.
Même refrain á Nazca dans le bidonville de Nueva Villa. Enfin, même refrain face á la manifestation des mineurs. Le SCM voit la manifestation comme dangereuse, composée de membres armés et évalue une possibilité de guerre civile en cas de débordement. Comme je n`ècoute pas toujours les SCM, j`ai été voir la manif.
J`ai croisé plus de policiers que de manifestants. La police était armée jusqu aux dents et encerclait le début du cortège. Il m`ont interdit de prendre des photos. Face au fusil mitrailleur et à la politesse de l`homme en gilet pare-balles, je suis les ordres. "Police" et "politesse" n`ayant pas, étonnement, la même racine. "Police" provient à la base du grec πόλις (polis), la cité..."Politesse" provient du latin politus, uni, lisse, brillant.
Les manifestants passent sur un coté de la route Panamericaine. De l`autre coté, les voitures et les camions circulent, frôlant le cortège. Quand je demande à l`un des policiers si cela n`est pas dangereux pour la sècuritè des manifestants, il me fait comprendre qu`il valait mieux me taire. J`attends la fin du cortège, et je prend une photo furtive depuis mon téléphone portable. Je serai réprimandé par le pick-up de la police qui ferme la manifestation.
En cas de probleme avec la police ètrangere, je dègaine plus vite que mon ombre un: "Je veux voir ton supérieur. Je veux deux coups de fils. Un vers mon ambassade. Un vers mon avocat". J`ai appris cette technique en Cote d`Ivoire. Ça marche très bien.

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Fin du cortege de la manifestation sur la Panamericaine, et passage d`un camion en sens inverse. Nazca le 22aout 2013.



Informé, le SCM possède des arguments historiques corroborant cette possibilité de trouble de l`ordre. Informé, mais mal, le SCM aime l´anecdote, et la violence épouse ses névroses dont sa pulsion de mort, qu´il alimente et végète devant TV Globo ou ATV. La presse lui donne également satisfaction. Un journal comme la Folha de Sao Paulo, est-il encore un journal d`informations? Comme me disait un ami brésilien, "la Folha sert à allumer le barbecue, et à envelopper le poisson". J`ai eu honte pour le poisson.
En synthèse, le SCM n`a pas totalement tord...mais il exagère.

4/ Le dernier profil est celui du touriste. Le touriste est ici la version réductrice du touriste au Pèrou, au sens où il vient passer 2 à 3 semaines au Pèrou, avec une boucle classique du type: Lima-Nazca-Arequipa-Puno-Cuzco. Il optimise son voyage au fil des villes qu`il traverse. Routard en main et esprit ouvert, il a préparè son voyage en incluant d`èventuels retards dans les transports. Face au blocage des routes sur son parcours, le touriste se divise en deux sous-profils.
Il y a d`abord les touristes qui comprennent qu`au Pèrou, comme partout, il y a aussi des mouvements sociaux, des contestations, et des grèves. Ce touriste s`adapte et accepte de prendre plus de retard sur son planning. Il a le temps.
Le deuxième sous-profil est celui du "touriste RATP". Celui-ci cesse d`etre sympa. Il est très remonté face à la grève. Les grévistes ne comprennent-ils pas qu`il a épargné pendant un an pour payer son voyage au pays de lamas? Il n`a que 3 semaines et le temps est compté. Il voit le tourisme comme un service fourni et non pas comme une évasion pleine d`alèatoire. En clair, il est assez éloigné du baroudeur des Andes, et assez proche d`une attitude "Chatelet les Halles, prochain métro dans 2 minutes". Heureusement, ce n`est qu`une minorité.

A j`oubliais! Il y a le dernier profil. Celui du mec qui n`a pas grand chose à faire et qui lit le journal toute la matinée dans une "jugueria" où il sirote des jus de fruits de la passion. Celui-ci discute de la greve avec les autres clients et les touristes. Il intervient, reformule les positions, mais n`apporte pas grand chose au débat. Parfois, il lui arrive même d`imaginer des typologies des "non manifestants au Pèrou". Il les énoncera sur son blog.

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Commentaires
T
En tant que puriste, je voudrais spécifier que "SCM" veut également dire "SUPPLY CHAIN MANAGEMENT"... mais faire un parallèle avec nos "Stressés de classe moyenne" serait malheureux.<br /> <br /> <br /> <br /> Bises à toi, <br /> <br /> <br /> <br /> Toninho !!
L
nous nous sommes reconnus....(dernier paragraphe !) bises énormes -les parents-
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